Contribution de Frère Anselme « au Sujet de l’obéissance… »

Il est vrai qu’à l’origine, et selon l’étymologie (subjectum = placé dessous), le sujet est un soumis. En français, jusqu’à l’époque classique, le mot désignait une personne placée sous la dépendance d’une autorité souveraine. Ainsi les rois de la monarchie absolue gouvernaient-ils des sujets. Le souverain pontife aussi. On était dans la logique d’un pouvoir exercé de haut en bas, de supérieur à inférieur.

Mais par la suite le mot est entré en philosophie avec un sens plus proche de ce qu’est notre expérience actuelle du sujet. Il implique, en ce nouveau sens – qui ne fait que traduire l’évolution culturelle et, par force, politique – la conscience rationnelle de quelqu’un qui dit je et s’affirme lui-même responsable de ses actes et de ses pensées. Quels que soient les dangers – ils sont réels – d’un subjectivisme qui ne fait que reproduire sous un autre vocable ceux de l’individualisme, l’émergence de la subjectivité ne peut plus être comprise comme celle de l’erreur ou de la rébellion, mais comme le passage obligé vers toute conduite authentiquement humaine, en un mot ; responsable.

« … De plus en plus il paraît indigne de se décharger de sa propre conscience sur une autorité qui se substituerait à elle. De toute façon, si j’obéis, en quelque sens que ce soit, c’est que j’ai décidé d’obéir ou consenti aux pressions qui me forcent à le faire. Cela peut aider à se rappeler que le verbe obéir (venu du latin ab-audire) signifie étymologiquement tendre l’oreille, écouter. C’est d’ailleurs par ce mot et cette invitation que commence la Loi d’Israël au chapitre 6 du Deutéronome : « Ecoute, Israël etc. ». C’est d’ailleurs également ainsi que commence la Règle de saint Benoît : « Ecoute, ô mon fils etc. ». La véritable obéissance ne saurait donc consister en l’abandon de son propre jugement, en renoncement à sa propre conscience. Elle devrait consister à ne pas se décider sans avoir écouté. »

Sans doute notre conscience est-elle subjective et ne nous donne-t-elle que ce que nous pouvons voir depuis nos propres conditionnements. Mais le seul espoir que nous ayons de contrer notre tendance au subjectivisme passe par l’écoute des autres consciences. Admettons cependant qu’il y faille du courage tant peut être forte la nostalgie d’un certain juridisme moral qui permettrait de satisfaire un besoin ambigu de sécurité et de s’abriter de ses propres angoisses dans l’observation scrupuleuse des règles édictées par ceux qui seraient alors seuls à en porter la responsabilité. Mais comment ne pas voir, en cette époque complexe où personne ne peut prétendre disposer d’un savoir absolu (pas plus en science qu’en philosophie ou religion) que l’honneur de la raison est de lutter pour plus de lucidité, notamment par l’écoute des autres et, quand il a écouté, de risquer son propre choix en assumant la possibilité d’avoir ensuite à le regretter ? Cela devrait valoir pour tout le monde car être homme, c’est d’abord savoir qu’on n’est pas Dieu et prendre son parti de ce déficit existentiel.

Frère Anselme – Abbaye d’En Calcat – le 8 Janvier 2010